Lycées et IA

Lycées et IA : les profs bricolent pour stopper la triche des élèves

Face à l’irruption de l’intelligence artificielle dans les salles de classe, les enseignants redoublent d’imagination pour garder le cap. Entre interrogations éthiques et bouts de ficelle, plongée dans un quotidien scolaire en pleine mutation.

Devoirs maison : l’âge d’or est terminé

Il fut un temps où les profs confiaient des devoirs à faire à la maison sans trop de soupçons. Aujourd’hui, c’est presque devenu un sport à haut risque. À Franconville, un professeur de physique-chimie a tout simplement rayé les devoirs maison de son programme. Trop de copies aux formulations trop lisses, trop parfaites… pour être honnêtes.

Ce qu’il redoute, ce n’est pas tant que les élèves se fassent aider. Mais qu’ils n’apprennent plus rien, happés par une IA omniprésente, prête à faire le boulot à leur place. Pour lui, il vaut mieux un coup de pouce parental qu’un texte pondu sans compréhension.

L’IA, c’est devenu « normal »

À Dijon, un enseignant d’histoire-géo le confirme : dans ses classes, l’usage de l’IA s’est banalisé. Fini la gêne de l’avoir utilisé, désormais les élèves l’assument — voire s’en vantent. Et cette révolution ne touche pas que les lycéens : dès qu’une formation porte sur l’IA, c’est la ruée. Jusqu’à 200 enseignants dans une même salle, impatients de savoir comment encadrer ce phénomène grandissant.

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La riposte : système D et oreilles dégagées

Face à la montée en flèche de la triche assistée par IA, les professeurs bricolent. Certains imposent des règles dignes d’un concours national : sacs au fond de la salle, écouteurs interdits, oreilles visibles… Car oui, on a vu des élèves utiliser leur téléphone pour interroger une IA en plein contrôle, en douce, via des écouteurs cachés.

Faute d’outils fiables (les logiciels de détection type Compileo ou Examino sont loin de faire l’unanimité), les enseignants comptent sur leur flair pédagogique. Un style trop parfait ? Un vocabulaire inhabituel ? La suspicion s’installe. Mais sans preuve, la sanction est quasi impossible.

Un extrait du "cadre d'usage de l'IA en éducation" publié le 14 juin par le ministère de l'Educaiton nationale.
Un extrait du « cadre d’usage de l’IA en éducation » publié le 14 juin par le ministère de l’Educaiton nationale.© Ministère de l’Education nationale

Retour à l’oral : les profs changent de stratégie

Pour contourner le problème, certains enseignants optent pour la confrontation directe : des oraux improvisés pour vérifier si les élèves maîtrisent réellement leur copie. Résultat ? Certains craquent, d’autres avouent. Un professeur raconte même qu’un élève de seconde, mis au pied du mur, a fondu en larmes. Cruel, mais révélateur.

D’autres misent sur des pièges bien pensés : une prof de littérature a récemment glissé une question non documentée dans un devoir. Résultat ? Seul un élève a vraiment regardé les vidéos demandées. Les autres ? Tous trahis par leur utilisation maladroite de ChatGPT.

Reconnaître l’IA… et la gérer

Les enseignants commencent à repérer les « tics de langage » typiques de certaines IA. Une compétence que beaucoup aimeraient voir reconnue officiellement, notamment en cas de doute partagé entre collègues. Car pour l’instant, accuser sans preuve reste un casse-tête administratif, et souvent, un combat perdu d’avance.

Une école entre deux mondes

Côté institutionnel, les choses bougent lentement. Un cadre d’usage de l’IA a été publié en juin, mais il a fallu batailler pour que la triche y soit explicitement abordée. Un oubli qui aurait été interprété comme un feu vert tacite.

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Pour autant, tous les élèves ne sont pas dupes. Certains comprennent que déléguer ses devoirs, c’est comme faire de la musculation en laissant une machine soulever les haltères : pratique mais inutile sur le long terme.

Changer de paradigme ?

Au sein même de l’Éducation nationale, les visions s’affrontent. Faut-il traquer l’IA ou apprendre à bien l’utiliser ? Certains experts, comme Grégoire Borst (CNRS), penchent pour la deuxième option. Plutôt que de punir, il s’agirait d’intégrer l’intelligence artificielle dans un cadre pédagogique constructif.

Mais d’autres enseignants, prudents, appellent à ne pas précipiter les choses. L’IA n’a que deux ans et demi d’existence dans l’enseignement, et déjà, elle bouleverse les repères. Le numérique peut enrichir l’école, à condition de ne pas sacrifier la pédagogie à la technologie.

Une formation IA obligatoire dès la rentrée

Bonne nouvelle : dès septembre 2025, les élèves de 4e et de 2nde recevront une formation en ligne sur l’intelligence artificielle. Et les professeurs aussi. Dix modules courts, pour comprendre les IA, leur impact environnemental et les questions de données personnelles. Un pas vers une école mieux armée — à condition que chacun joue le jeu.

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